LA RECONSTRUCTION DE L’HOPITAL ARISTIDE LE DANTEC SUR LE MEME SITE : DES INCOHERENCES POLITIQUE ET GEOSTRATEGIQUE AUX CONSEQUENCES ECONOMIQUES FACHEUSES POUR LE SENEGAL

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«Toute histoire est contemporaine», martelait le philosophe de Pescasseroli, Benedito Croce. Celle de l’Hôpital Aristide Le Dantec (HALD) dont les soubresauts de la reconstruction ont divisé le pays, non pas en deux, mais en quatre, ne saurait échapper au champ d’application cette maxime d’une portée générale. D’ailleurs, un petit tour d’histoire aiderait à comprendre l’enjeu de la démolition-reconstruction de ce centre hospitalier national.
Fondé en 1912, il portait déjà à l’époque le nom de l’Hôpital Central. Dans le système de santé colonial, il était dédié aux autochtones d’où son autre nom : l’hôpital des indigènes (Noirs). Pour immortaliser le médecin major de 2e classe des troupes coloniales et père fondateur de l’école de Médecine de Dakar (actuelle faculté de médecine de l’université Cheikh Anta Diop) il sera baptisé en 1956 du nom Aristide Le Dantec(1877-1964). Alors que l’hôpital Principal de Dakar (HPD) qui fut inauguré en 1884 était dédié à l’élite coloniale (colons et familles). Schématiquement ,nous avions à l’époque coloniale une structure sanitaire dédiée à l’élite coloniale et une autre dédiée aux nègres (noirs).
Depuis notre indépendance, les différents Présidents qui se sont succédé à la tête de la République ont, hélas, perpétué ces pratiques colonialistes, discriminatoires, voire racistes. Ce qui explique le fait qu’à ce jour l’HPD est le plus couteux des Etablissements Publics de Santé  (EPS) hospitaliers de niveau 3 du Sénégal et reçoit généralement nos élites politique et maraboutique si elles ne parviennent pas à partir l’étranger tandis que l’HALD était le plus accessible en termes de coûts de prestations d’où son nom « d’hôpital social » car recevant les sénégalais démunis pour l’essentiel.
Nous pensons certes que la réhabilitation(ou reconstruction ) de l’HALD était nécessaire car une bonne partie de ses bâtiments étaient dans un état de vétusté déconcertant. Néanmoins, une reconstruction intégrale (de tout l’hôpital) et sur le même site constituent des preuves irréfutables des incohérences politique et géostratégique de nos dirigeants aux conséquences économiques fâcheuses pour le peuple sénégalais.

D’emblée, il y a quelques questions simples à se poser et dont les réponses qui coulent de sources (dé)montrent l’amateurisme dans lequel ce projet de reconstruction de L’HALD est bâti.
Au moment où le régime en place nous parle de décentralisation (Acte III en 2014), de territorialisation des politiques publiques,de la création de nouveaux pôles économiques ou encore de la lutte contre l’exode rural massif ,comment comprendre la reconstruction de cet hôpital sur le même site ?
Pourquoi cette ultracentralisation des services publics de l’Etat à Dakar et particulièrement en centre-ville, alors que la quasi-totalité des usagers (malades) et du personnel médical de l’HALD n’habitent pas dans ces coins «ultrachics», QG des institutions et place forte des missions diplomatiques ?
Or, pour construire une infrastructure hospitalière, l’accessibilité géographique des usagers et du personnel n’est-il pas un critère majeur à prendre en compte.
Pourquoi le gouvernement du Sénégal n’a-t-il pas demandé à l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) une étude sur le lieu de provenance des usagers (malades) et du personnel pour motiver cette reconstruction sur le même site ou une éventuelle délocalisation ?
A quand des décisions basées sur des preuves ?

Aujourd’hui tout le monde affirme que Dakar étouffe (le département). La preuve par le trafic routier hyper embouteillé et les heures de souffrances pour entrer à Dakar-Ville le matin ou pour en sortir le soir. Combien de personnes dont le pronostic vital n’était pas engagé au moment de leur évacuation vers un EPS hospitalier de niveau 3 ont vu leur état de santé s’aggraver ou pire ont perdu la vie durant leur transfert, veuillez demander au SAMU national !

Ndoffanois (département de Kaolack) que je suis, en débarquant à Dakar, lesté de mes ambitions de jeune bachelier, j’avais la forte conviction, en posant le regard sur les édifices publics de la capitale, que les autres régions du Sénégal, surtout les communes rurales, étaient discriminées aussi bien sur le plan économique que sur le plan des infrastructures par rapport à la région de Dakar. Après y avoir vécu quelques années, je me suis rendu compte que nous les ruraux n’étions pas les seules victimes de cette hyper-concentration des services publics en ville .En réalité les autres départements de la région Dakar ( Pikine , Guédiawaye, Rufisque et récemment Keur Massar) sont également discriminés par rapport au département de Dakar.
Le développement de notre pays ne requiert-il pas une mise en valeur proportionnelle et homogène de tout le territoire national ?

A l’état actuel de la pyramide sanitaire de notre pays, les établissements publics de santé (EPS) hospitaliers de niveau 3, qui en constituent le sommet (car on y délivre des soins spécialisés les plus perfectionnés du Sénégal), à l’image des hôpitaux comme HALD, HPD, hôpital FANN sont tous concentrés dans un rayon de moins de 10 Km. Or, ces hôpitaux ont une vocation(compétence) nationale (reforme hospitalière de 1998) c’est à dire destiné à toutes les populations du pays si leur état de santé l’exige ,peu importe leur localisation sur le territoire national alors que les EPS de niveau 2 ont une vocation régionale c’est à dire offre le niveau de soins le plus perfectionné à l’ échelle de la région comme par exemple le Centre hospitalier El Ibrahima Niass de Kaolack( CHREIN).

Au regard de cette organisation de notre carte sanitaire, comment comprendre la reconstruction de cet hôpital sur le même site avec tous les problèmes d’accessibilité géographique que nous venons d’énumérer?
Comment peut-on continuer à mimer le colon français dont l’objectif de départ qui avait motivé la construction de L’HALD est différent de nos aspirations d’aujourd’hui et que les situations démographiques et économiques d’alors sont totalement différentes de celles que nous vivons maintenant? Les questions mémorielles (liées à l’histoire de l’HALD) doivent-elles prendre le dessus sur les préoccupations légitimes des populations et du Sénégal,état souverain ?
Si aucun hôpital n’existait pas encore sur ce site (actuel HALD), notre Etat songera-t-il vraiment à y construire un EPS hospitalier niveau 3 en 2022 ?
En regardant sur le rétroviseur on comprend aisément la vision du Président Abdoulaye Wade qui avait sous-tendue la construction du Centre Hospitalier National de Pikine (CHNP) en 2006,du Centre hospitalier National pour Enfants de Diamniadiao et de l’hôpital DALAL JAMM car jusqu’en 2006 tous les EPS de niveau 3 hospitaliers du Sénégal étaient localisés dans le département de Dakar à l’exception du centre hospitalier National Psychiatrique de Thiaroye qui prend en charge uniquement une frange des malades.Donc la logique voudrait que le successeur du Président Wade continue cet effort de décentralisation des infrastructures sanitaires hautement qualifiées dans ces zones périphériques ,très peuplées avec des marges démographiques importantes.

La reconstruction de l’HALD dans le département de Rufisque ou Keur Massar aurait au moins quatre effets majeurs :
-rééquilibrer le flux routier dans la région de Dakar aux heures de pointe, d’embauche comme de débauche
– diminuer les déplacements épuisants vers le centre-ville
-faciliter l’accès aux soins spécialisés à la population vivant dans la proche comme lointaine Banlieue de Dakar ou celle venant de l’intérieur du pays
– et enfin redynamiser davantage l’économie locale en offrant de nouvelles opportunités à la zone d’accueil(logements, restauration,les services. ..).A côté de ces avantages, s’y ajoute sa proximité avec l’aéroport international de Diass pour la promptitude des éventuelles évacuations sanitaires dans comme en-dehors du pays!

Encore une fois, l’incohérence géostratégique de reconstruire l’HALD sur le même site est qu’il se situe à moins de cent (100) mètres de l’HPD. Quelle pertinence de mettre ses deux plus grands hôpitaux presque accolés alors que cette zone de DAKAR n’est certainement pas la partie du territoire régional la plus densément peuplée
En plus toute catastrophe (que DIEU nous en préserve) naturelle ou humaine qui detruirait ou entraverait le fonctionnement de l’HALD n’épargnera probablement pas l’HPD car ces deux hôpitaux sont côte-à-côte et limités par une bonne partie de leur pourtour par l’océan Atlantique.
Nos autorités ont-elles pris en compte les projections des environnementalistes liées à l’avancée de la mer du fait du réchauffement climatique ?
Une polyclinique 5 étoiles d’une valeur de 60milliards est en construction actuellement à HPD,quel(s) argument(s) peuvent-elles se prévaloir pour expliquer cet investissement massif(120 milliards au total pour les structures sanitaires)dans le secteur de la santé dans cette petite portion excentrée à la fois par rapport au territoire régional de DAKAR que par rapport au territoire national.
En plus cette zone est habitée en grande partie par des étrangers qui ne fréquentent que rarement nos structures sanitaires publiques alors qu’à Keur Massar il n’existe le moindre EPS , même pas de niveau 1?

Les conséquences économiques de la reconstruction de l’HALD sont liées à l’absence de vision claire (pilotage à vue) et au défaut ou l’absence de planification dans les politiques et programmes publics de l’Etat du Sénégal.

Saviez-vous que la plus grande maternité de l’Afrique francophone (celle de l’HALD) fut fermée de 2005 à 2018 pour être entièrement reconstruite (fonctionnelle depuis 2018) ?
Saviez-vous que le service de médecine interne (le plus grand du Sénégal) de l’HALD où on enseigne aux futurs médecins les bases de la médecine pathologique (3e année et 4e de médecine) a été également réhabilité et fonctionnel à nouveau depuis moins d’un an avant le projet de reconstruction ?

Saviez-vous que les services de l’urologie, de pédiatrie , de l’hématologie biologique,de la biochimie,de la pharmacie centrale ,de l’institut Juliot Curie et la devanture de l’HALD ont été également réféctionnés ou étendus ou en chantier dans les cinq (5) ans précédant ce projet de reconstruction ?
Saviez-vous que tous bâtiments dont certains étaient encore flambants neufs (maternité ) et qui ont couté des milliards de FCFA au contribuable sénégalais ont été purement et simplement démolis ?

Mais comme disait Albert Camus : «La bêtise insiste toujours». Et, malheureusement, chez nos actuels gouvernants on aime insister. Malgré les cris d’orfraie du peuple épuisé et vivotant qui proteste avec véhémence et les alertes des savants qui parlent avec expérience.

Maïssa Ndao, médecin, conseilller municipal et président de la commission santé -hygiène du conseil municipal de NDOFFANE.

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